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1 mars 2011 2 01 /03 /mars /2011 10:39

amato.jpgUn court essai, percutent, pertinent, passionnant et d’une richesse intellectuelle peu commune. Pierrandrea Amato s’empare ici d’un sujet plus difficile qu’il n’y paraît, qu’il thématise en virtuose, multipliant ses lectures pour en féconder l’événement et nous inciter à en poursuivre la route, débusquant des textes incroyables pour nourrir cette réflexion, comme celui du jeune Lévinas croisant déjà le fer dans les années 30 avec Heidegger, ou ceux du dernier Foucault, magistral. Un sujet qu’il thématise plus qu’il ne théorise : une théorie de la révolte serait aussi stupide que factice. Le tout dans une écriture volontiers aphoristique plutôt qu’analytique, serrant ainsi au plus près le sens qu’elle ose débusquer. Car il ne s’agit pas de penser la révolte dans une quelconque limpidité conceptuelle, mais bien au contraire dans l’impureté d’une praxis qu’aucune théorie ne saurait réduire.

Saisir donc l’homme révolté non à la manière d’un Camus le recroquevillant dans son for intérieur pour le constituer dans le camp des élites, qui cultivent leur révolte au nom d’une vérité de l’être enroulée au décorum de l’amour et de la fraternité. Ici, la révolte est saisie dans un limon plus rogue, pour donner à voir des qualités humaines fondamentalement indéterminées. Indétermination qui en fonde la valeur même, et la nécessité.

Avec intelligence, Amato replace ainsi la contingence de la révolte dans un cadre plus séminal. L’Homo sapiens, affirme-t-il, est un homme séditieux, dotée d’une épaisseur qui ne peut s’énoncer qu’en tant qu’être-pour-la-révolte. "La vie n’est que le nom d’un travail d’autocritique constante", l’identité de l’homme ne se forgeant que de ce qui ébranle son identité, si bien que le rapport de l’homme au temps ne peut être que celui d’un inadapté : la "révolte doit être considérée comme une contingence fondamentale, comme le fait même d’être au monde". Et de convoquer la paléoanthropologie contemporaine qui nous révèle que "toute systématisation définitive de sa nature est étrangère à l’homo sapiens." Changements et discontinuités formant sa règle, il paraît ainsi impossible de définir une fois pour toute ne serait-ce que sa désignation biologique : l’homme ne cesse de "connaître un glissement perpétuel et tangible hors de soi", il s’hybride, au niveau même de sa réalité naturelle. Or c’est la révolte qui, puissamment, "rassemble de manière plastique l’altérité du vivant par rapport à lui-même", instruisant une infidélité coupant court à l’apparence de stabilité des structures de ce vivant. De sorte que ce qui doit définir l’homme, c’est justement son indétermination, non son identité.

Ô combien l’idée est forte aujourd’hui, quand notre destin inéluctable s’énonce brutalement comme celui de la situation immonde du monde contemporain. Politique alors, la révolte ? Certes, mais pas à la manière que le voudraient les politiques, avec leurs appels incessants à l’assagissement des révoltes et leur achèvement, comme on l’entend ici et là à propos de ce formidable Printemps des peuples arabes, au sein desquels l’énigme de la révolte se livre pleinement à nos yeux. Car la révolte est rétive, et comme une lame de fond, ce dont elle prend acte n’est rien moins que la mort politique de l’Etat et de sa grammaire juridique. Indicible, indécidable, la révolte n’est pas la révolution, ni la volonté d’instaurer une nouvelle autorité politique : la révolte ne vise pas le pouvoir, elle s’offre comme le lieu de résistance de la vie. Ce n’est pas le malaise économique qui la fonde entièrement, ce n’est pas le fait que d’immenses territoires soient dévastés par le chômage, c’est le fait que la vie ne peut se confondre avec le simple fait d’être en vie. "C’est la situation inquiète de l’humain, en tant que tel, qui (porte à la révolte) : jeté dans (ce) monde (immonde), (l’homme se) montre néanmoins capable d’ébranler (la destinée qu’on veut lui faire)". Une revendication dont la force intrinsèque dissout le régime de la peur, brise le piège de la douleur, de la souffrance, et c’est pourquoi la révolte échappe aux représentations politiques ordinaires, qui veulent toujours trop tôt lui assigner des raisons et des fins. Mais la révolte est une cause sans raison ni finalité. A l’improviste, elle déchire les consensus. Elle est un geste fauve qui refuse la domestication de l’être humain et bouscule ces espaces où d’ordinaire il ne se passe rien. "Dans la révolte, nous dit Amato, on a affaire à un mouvement qui esquive toute énonciation et toute revendication, tout en posant, sans aucune médiation linguistique, le problème de la situation catastrophique où la vie est généralement jetée." Car le pressentiment qui s’y fait jour est celui de l’intolérable du monde. Car l’espoir qui s’y fait jour est celui de créer un monde où résister.

Ce qui est en jeu aujourd’hui, dans nos sociétés occidentales, c’est l’idée même de la politique "comme projet de modification de ce qui est". Contre la peine de la pauvreté à laquelle le plus grand nombre est condamné, contre une existence gouvernée par l’indigence, tout geste de révolte apparaît comme un acte qui se dresse contre la Vérité du Marché ou la mystique des élections. Nous sommes face à une guerre absolue, affirme Amato. Je veux bien le croire et avec lui, relever les traces, les indices qui, demain, nous permettront de faire face et de conceptualiser la révolte comme notre seul destin possible.joël jégouzo--.

Pierrandrea Amato, La révolte, éditions Lignes, février 2011, traduit de l’italien p ar Luca Salza, 110 pages, 14 euros, ean : 9782355260643.

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