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9 juin 2014 1 09 /06 /juin /2014 04:30

glaneuse.jpg

KAMEL LAGHOUAT,

LA GLANEUSE

(Ils veulent diminuer le nombre des morts pour faire grimper celui des vivants…)

 

"Encombrée de ballots elle avançait vêtue de noir.

Elle avançait sur la place du marché, un lourd sac au bout de chaque bras rempli de sa récolte, des choux, des pommes, les légumes que les marchands jetaient.

La foule des pauvres, peuple en souffrance, fugitif,

Sans voix pour le soutenir,

béquille tandis que des ombres agonisent contre les murs des parkings.

Elle avançait les épaules fléchies le soleil nu comme un tombeau.

Cris rauques, huées, on déblayait la place, déjà les machines poussaient les reliefs que les pauvres disputaient aux chiens.

Elle veillait à son bien,

Je la voyais, un sac, l’autre, les éléments épars d’une violente cruauté,

A côté d’elle nos ruines.

Elle s’est couchée plus loin, lasse.

Je vous écris depuis sa mort bordée d’épaves,

naufragée vacante où la question sociale est devenue celle de l’utopie ou de la mort, les uns se couchent les autres ont disparu déjà,

baiser aux fronts des mères calleuses."

 

A la fin, la démocratie était seulement le moyen pour les politiques de laisser crever les gens sans faire de vagues. Le poème de Kamel Laghouat, 19 ans, évoque au fond mieux qu’aucun commentaire la situation dont on parle.

 

 

Image : Denis Bourges, qui présenta pour les 20 ans de Tendance Floue une série intitulée "Border life", dont les images résument son regard sur le cloisonnement et la frontière. Ici, une glaneuse au marché Aligre, à Paris, en 2010.

 

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22 mai 2014 4 22 /05 /mai /2014 04:35
 
elie-stephenson.jpgLe livre recouvre trois ensembles de recueils publiés par le poète sur une période d’une quarantaine d’années : Terres mêlées, Ismée ou les oiseaux de lumière et Hasta sempre. Assez pour dessiner une trajectoire, d’une poésie de combat à une poésie d’ébranlement dirions-nous, du militantisme adjurant à l’intime imploré.
Témoignage, indignation, exhortation, dénonciation, les premiers poèmes placent la souffrance des peuples opprimés au centre de leur raison d’être, travaillant dans une langue manifeste ce «désespoir des terres affamées », des HLM où l'on entassa les immigrés à cette savane dévastée des peuples d’Afrique noire. Algérie, Palestine, Liban, Amérique du Sud, Elie Stephenson conjugue toutes les souffrances de tous les peuples dont le combat séculaire a fini par s’affirmer comme notre seul vrai héritage, dans cette obstination des miséreux à vivre et dessiner un nouvel horizon de justice. Poésie incandescente invoquant la tourmente coloniale, le racisme jamais achevé, toujours en reste de nos sociétés malgré ces «clartés rapiécées» des vagues promesses démocratiques qui se sont succédées depuis les années soixante, malgré ce «soleil des non-alignés» où se sont entrechoqués les discours, brassant comme l’immense houle d’un monde à la dérive qui partout a fini par nous réduire à ses nécessités meurtrières -partout les puissants ont restauré la terreur raciste. Les images sont fortes, qui parlent de ces «solitudes d’envergure» qui sont les nôtres désormais et de cette Révolution avortée des années soixante, qui parlent un désir qui n’a pu revenir de son exil et a fait de nous des «dormeurs aux yeux abrupts».
 
A lire les recueils dans leur succession historique, il est impressionnant de réaliser ce que cette trajectoire dessine, de la survie de tous à la survie de soi, comme si, ne trouvant à éclore dans l’ordre du politique, le désir avait fini par percer violemment au plus intime de nos chairs pour nous rappeler à l'ordre de sa nécessité. Quelle leçon finalement que cette trajectoire, intimant l’appel du désir dans l’intimité pressente de l’être. Guérilleros désarmés, le désir nous sommes de traduire dans nos corps son urgence. Mais c’est aussi comme un appel isolé, enfermé dans une demande d’amour désespérée, comme il en va dans Ismée, dont l’absence est partout désenchantée dans notre monde. L’Autre sans cesse espéré est comme recouvert d’ombres et de cendres. Il est étrange de lire poème après poème cet appel lancé depuis une si profonde solitude de l’être, où l’Autre jamais présent s’entend comme d’une bataille qu’il faudrait d’abord mener contre soi. La route est longue en effet qui mène à l’autre quand le monde n’en a plus crayonné le chemin, plus longue encore depuis notre défaite commune devant ce désir de révolution abandonné en chemin. La route est longue qui ne nous distingue plus que dans le tourment d’être soi, si peu aptes à ouvrir une voie pour l’aimé qui ne serait pas qu’une simple folie personnelle. Il entre de la prière désormais dans cette écriture, sous les mots presque candides que le poète déploie. Peut-être parce que nous ne savons où vivre cette demande d’amour ? «Que faire en ces villes / Ce pays / Où tout m’égare ?». Le temps de l’exil est devenu la norme, chaque Un rabougri à la dimension de ses piètres émotions. A survivre plutôt qu’à vivre dans ce «pays de chien-de-race» qu’est devenue la France, profondément assoupie sur des montagnes de cadavres. Rien d‘étonnant alors à ce que l’écriture la plus récente du poète se soit presque faite innocente, épousant la romance des mots usés jusqu’à la corde que les médias diffusent à longueur de journée pour tenter d’y inscrire le réconfort de ne pas se croire seul. On est presque surpris par cet usage confiant qu’Elie Stephenson fait des mots les plus galvaudés et qui tentent d’accrocher l’Autre dans la perspective de l’intimité à soi. Des mots d’amour, mais d’une intimité qui peine à vivre. L’appel est incessant, insistant, réitéré d’un poème l’autre, tant et tant que se dessine au fond sa déroute, une défaite évidente à le renouveler sans cesse. A tant vouloir aimer et tant le répéter, qu’est-ce qui rate dans cette exhorte qu’il faille tant la réitérer ? Qu’il n’y ait pas d’espace commun pour la recueillir ? «Pour toi je fais naître / un peuple de héros», affirme le poète. Ce peuple disparu, tous les hommes que l’on voudrait levés, l’espoir d’une gestation au final plutôt que d’une geste…  Alors de quel poids réel dans ce monde découragé la possibilité du baiser ? Qui plus est loin du charnu des lèvres, inscrite si obsessionnellement dans l’orbe du poème ? La grammaire consigne même ici son aveu, celui d’un imparfait : «tes pas ressemblaient », c’est assez dire qu’ils ne sont plus, qu’ils ne sont pas. Ou bien le vers s’affirme dans un présent qui ne déroule qu’une attente : «C’est l’aube je t’attends» - mais tu n’es pas. Comme si la force incantatoire de la poésie pouvait tout juste nous sauver encore un peu de cette déroute des temps présents, tandis que la mémoire se rappelle ces lieux confiants où jadis l’amour pouvait vraiment surgir : ceux d’une communauté humaine construite sur le lien attentif de soi à autrui. Quand il ne nous reste que le déchirement de la mémoire des peuples jetés à fond de cale, leur martyre jamais soldé. C’est sans doute de cette vie lacérée que «le désir oublié de la chair» doit surgir en fait, là où s’enracinent et le désir et la plainte d’aimer, qu’Elie Stephenson sait si bien convoquer.
 
Elie Stephenson, Terres mêlées, Ismée ou les oiseaux de lumière, Hasta sempre, édition A3, 2007, 200 pages, 15 euros, ean : 9782844361400.
 
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20 mars 2014 4 20 /03 /mars /2014 05:23
exil-iran.jpgL’exil, dans la conscience d’une femme, dans ce présent, comme le dit son préfacier, creusé d’absence. Comment s’écrit l’espoir ? De l’obscurité à la lumière, quel corridor traverser quand «l’humidité du sang vieilli» n’offre pour tout réconfort qu’une vie âpre et dure et dépeuplée ? Les images sont fortes, qui effectuent les poèmes d’Emma Peiambari. Fortes en particulier de l’évocation de la nature qui traverse de part en part le recueil, celle laissée sur le chemin à nulle autre pareille, comme un référent de mémoire qu’on ne peut oublier sous peine de s’oublier soi-même, celle qui s’est ouverte à sa contemplation quand il ne restait rien d’autre qu’une vague ligne d’horizon pour toute perspective. Comme un fil conducteur, meurtrie par cette humanité sans gloire qui a saccagé nos paysages, croyant anéantir l’Histoire. Poèmes de l’exil, on sent bien ce qu’il en coûte de fuir et l’inaccomplissement que ce partir signifie, quand ensuite il faut tenter de s’ouvrir à d’autres nécessités que celles de la simple survie. Un autre combat donc, encore, toujours. Là-bas déjà, contre cette langue des bourreaux qui prétendait anéantir jusqu’au sol où l’on marchait, et le ciel et ses moissons. Mais la terre semble douée d’une infinie résistance. Et sa remémoration n’est pas un geste fortuit, ni vacant. Il faut lire cette poésie où les couleurs du monde, ses rythmes, s’énoncent comme d’un lieu de ténacité. Par-delà l’exil, l’effroi des fuites incessantes, l’inconsolable perte des amis disparus, la terre est comme un trait d’union. La poésie d’Emma Peiambari est déchirante. Comment pourrait-il en être autrement ? Jusque dans sa sensibilité aux couleurs du monde où le destin des arbres paraît identique à celui des hommes. Il y a certes cette «présence orgueilleuse de la mort», l’angoisse des femmes toujours les premières victimes. Il y a aussi l’obscénité de l’hypocrisie du monde des puissants qui tournent toujours le dos, mais la couleur des rêves qui ressurgit toujours, contre ces parodies de vie que l’on veut nous imposer. Le déchirement, mais l’espoir incontrôlable. Surgi d’on ne sait où, de quelque tumulte intérieur bien sûr, d’une colère soudaine ou d’un trop long silence mûri, d’une envie de fuir sa propre absence, d’un battement d’aile saugrenu, du pas de velours du chat du voisin, de la course folle d’un cheval apeuré, d’une main généreusement tendue dans sa promesse inouïe, de chaque petit geste de la vie qui est comme une étreinte fulgurante, ou du printemps déversé à l’heure promise. L’attente finira. Pour Emma Peiambari, elle est déjà peuplée des victoires d’un jour prochain sur la langue barbare du bourreau.
 
Les rosées de l’exil, poèmes d’Emma Peiambari, L’Harmattan, 3 mars 2014, 70 pages, 10,50 euros, ISBN-13: 978-2343029856.
 
 
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14 mars 2014 5 14 /03 /mars /2014 05:53

 

Radnoti-Miklos.jpgMIKLÓS RADNÓTI écrivit son dernier recueil de poèmes alors qu’il se trouvait dans un camp de travail. Fuyant l’avancée soviétique, les nazis poussèrent leurs prisonniers dans une marche forcée qui dura des mois. Une marche de l’épuisement.

«La mort, dans la poussière / ardente de la Voie Lactée /, marche et poudre d’argent / ces pauvres ombres qui trébuchent.»

Une marche imposée par le boucher nazi vers une destination de longtemps mûrie, celle de la mort bestiale. A la première halte, 500 prisonniers sont massacrés. Il en reste 400. Les tueries se succèdent.

«Toujours en quelque lieu l’on tue : au sein d’une vallée aux cils clos, sur une montagne fureteuse, n’importe…»

MIKLÓS RADNÓTI écrit encore, les pieds ensanglantés : 

«Du mufle des bœufs coulent sang et bave, / tous les prisonniers urinent du sang, / nous piétinons là, fétides et fous, (…)», et meurt. 

 

Marche forcée, MIKLÓS RADNÓTI , Œuvres 1930 – 1944, traduit du hongrois et présenté par Jean-Luc Moreau, éd. Phébus, avril 2000, 190p., 19 euros, EAN : 9782859406080

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13 mars 2014 4 13 /03 /mars /2014 05:26

pongenotes.gif"Parler les choses", dit Ponge, et non parler des choses. 

Reprendre ce parti pris des mots connaissant la clôture du langage, dans l’illusion de dire les choses, sans rajouter à leur monde le raccommodage du nôtre, ravaudé au fondement du mot. Pour n'exprimer peut-être ni vérité ni quelque souffrance, et se contenter de travaller simplement la langue dans son matériau, comme dans cette sorte de peu mallarméen -que Mallarmé finit par disperser au-dessus de nos têtes ("ce n’était donc que cela, la création littéraire, un pur jeu formel ?").

A quoi relier le langage ?

Ou bien chercher, à l’intérieur du même, dans ses recouvrements bêlants, une épaisseur,

creuser jusqu’à la matière sensible, l'analogue inaccessible des choses ?

N’y aurait-il que du tragique à prendre le parti des mots ?

(Quid de la jouissance ?).

ponge-visuel.jpgMieux vaut retourner les mots encore, défigurer le beau langage comme le conseillait Ponge.

Refuser la fermeté péremptoire des cénotaphes.

Le parti pris des choses, donc. Qu’un galet nous remonte au Déluge -(Paulhan s’en agaçait, prétendait que Ponge confondait (il le dira), poésie et méditation).

Méditer, alors.

Méditer l'appel des choses dans leur secret mot d’ordre, loin du ravissement citadin, comme si les mots pouvaient avoir partie liée avec la nature. Le brin d‘herbe, le coquelicot, que risquer à le dire ? Il faut de toute façon s’arracher à la rumination langagière ambiante.

Ponge situait le lieu où les choses étaient au Chambon-sur-Lignon, croyant toucher à l’illumination rimbaldienne en caressant le rhum des fougères, ces fougères, enracinées dans son regard.

Ni ceci ni cela pourtant, la conscience épouse par trop la raison pour occulter les choses et le sensible de l’émotion. (Moins panthéiste qu’on a voulu le croire cependant, l’ami Ponge, plus chrétien qu’il ne l’a avoué dans ce renversement des arrogances quand refait tout le chemin de l’évolution vers la cellule, en réserve de l’humain).

Les façons du regard alors. Ponge dit l’œil, cette supplication "aux muettes instances que les choses font qu’on les parle pour elles-mêmes, en dehors de leur signification".

Ne resterait qu’à se lancer, décrire la sympathie universelle comme il l’écrit en 1953, cette "motion que procure le mutisme des choses qui nous entourent". Franciscain, Ponge. S'épinglant au premier brin d’herbe venu pour découvrir qu’il n’y a rien à entendre : la feuille ne dit que l’arbre.

ponge-folio.jpgParler les choses, s'y efforcer, et jouir de l’énoncé.

Parler les choses, non pas décrire leurs qualités –cela, c’est l’affaire des botanistes. Mais contempler leur reflet en nous. Peut-être même pas : se reposer en elles, accomplir cette sorte de retour vers la douceur immanente des choses, que Ponge appelle raisons de vivre.

En 1947, Ponge donne une conférence : "tentative orale", au cours de laquelle il fomente une forêt dont les "troncs gémissent, (… les) branches brament". Elle rend un son, cette forêt. Alors Ponge de se rappeler Malherbe, qui savait muer la raison en réson. La résonance. Dans quel vide de pensée la faire tenir ? L’arbre de Ponge nous en dit-il quelque chose ? Que la forêt ne soit plus une métaphore ! Le sens se donne et se retire, dans sa copieuse foliation.

Mais son De natura rerum, au fond, bruissait peut-être encore de trop de l’infime manège du verbe des salons. L’évasion en fin de compte, plutôt que la contemplation, voilà ce qu'il nous faut : le poème comme phénomène, exclu de la Cité.

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11 mars 2014 2 11 /03 /mars /2014 05:08

rimbaud-ferou.jpgRimbaud l’Ardennais doublait son appétit de savoir d’une féroce volonté d’exploration. Tout l’atteste dans ses écrits, le jeune Arthur déjà, défiait le grand espace vacant des plaines autour de lui et cette absence où il voyait, lui, affleurer partout un paysage étoilé. L’étroite vallée de la Meuse, la succession des forges qui font comme un écho au vacarme des enclumes, Rimbaud très loin dans les chemins déjà, allé… Heureux marcheur, rêveur à l’entrelacs des rivières et des forêts, contemplateur de leur ordre secret. La grande route par tous les temps, déroulant devant lui sa géographie sentimentale.

La société savante des géographes lui a donc consacré un colloque. Penchée sur ses écrits, elle a tenté pour nous d’en débusquer les paysages, savourant l’hydrographie des océans, de la Meuse ou de la flache, cette mare des forêts sombres où Rimbaud volontiers s’oubliait. Les géographes se sont disputés ses mérites, jusqu’à s’entendre sur le vrai sens de cette pulsion exploratoire toujours à l’œuvre dans sa vie, et qui offrit à la poésie son seul vrai horizon : non l’assurance de quelque bon mot, mais l’annonce d’un verbe enraciné au plus profond de l’être, jaillit pour «trafiquer dans l’inconnu» (lettre du 4 mai 1881).  Rimbaud finalement en possession d’innombrables paysages, des plaines de Souabes à Jérusalem. Croyant un instant qu’il allait devenir géographe pour de bon, s’y employant avec méthode, la société de géographie se montrant même disposée à l‘aider. Rimbaud géographe ? Aucun doute pour les uns, une matière savante somme toute pauvre pour les autres. Rimbaud pourtant dont le nom se fait connaître d‘abord en Italie de son vivant, dans le milieu des explorateurs, qui ne savent rien de son passé poétique. Il partait simplement explorer les confins, osait des routes où personne avant lui ne s’était risqué. Et entre deux courses, rêvait d’écrire un ouvrage érudit sur le Harar ou les Gallas. Il publiera du reste un premier mémoire remarqué sur l’Ogadine. D’autres publications suivront, en Italie, en France, avant que sa renommée ne s’affirme avec la relation de son grand voyage de Tadjourah à Entotto, et de là à Harar et Zeilah, alors plaque tournante du commerce des armes et le plus grand marché aux esclaves d’Afrique. C’est que Rimbaud avait eu l’audace de défricher des routes encore inconnues. mur-rue-Ferou.jpgPartout en outre sa réputation le précède : il connaît toutes les langues pratiquées dans ses régions ! Rimbaud l’infatigable. «Un grand et sympathique garçon qui parle peu et accompagne ses courtes explications de petits gestes coupants de la main droite, et à contretemps», note de lui son employeur, Alfred Bardey. Rimbaud qui sera bientôt l’un des premiers à comprendre le positionnement géostratégique de Djibouti, à l’époque où ce n’est pas même encore un village. Il en fera part dans son deuxième rapport beaucoup plus étoffé que le précédent, publié le 20 août 1887 dans la revue Le Bosphore égyptien, à propos de son voyage du Choa à Harar. Il est alors entré enfin vraiment «au royaume des enfants de Cham», comme il l’avait écrit dans Une saison en enfer. «La marche, le fardeau, le désert, l’ennui et la colère», qu’importe la géographie désormais, Rimbaud voyage, partout trop à l’étroit. «Je ne puis rester ici, parce que je suis habitué à la vie libre. Ayez la bonté de penser à moi». («Rimbaud, Poste restante, Caire, jusqu’à fin septembre » (lettre 26 août 1887)). Nous l’avons, Arthur, cette bonté.

 

 

Société de Géographie, Colloque du 9 octobre 2004, retranscrit dans La Géographie, n°1519 bis, janvier 2006.

images : le bateau ivre, sur le mur de la rue Férou, à Paris.

 

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10 mars 2014 1 10 /03 /mars /2014 05:32
haikus.jpg«La vieille tuile / Saigne d’un rouge frais : / Eclat d’obus) (B. Hirami, Epernay, 13 juin 1917). Quelques syllabes pour dire l’énormité de la guerre, son incongruité. Il y a dans la fulgurance du trait une sorte d’héroïsme. Juste pourtant ces événements minuscules de la vie, une patte d’oiseau, deux flocons de neige qui tardent à toucher le sol, l’événement de la temporalité spasmodique des corps tétanisés. Comment expliquer le choix d’une forme si brève ? La préface à l‘ouvrage n’en dit rien. Tous les poèmes n’ont pas été écrits pourtant pendant la guerre elle-même. Souvent après, dans ces temps où la parole cherchait à revenir, dans ces temps du dépassement de la solitude effarante de l’esprit répondant à celle des corps terrés dans leur propre ignorance. Ceux de ces poilus emmurés vivant dans les tranchées qui peaufinaient jour après jour leur lent travail d’ensevelissement, cette déglutition inouïe. «L’oiseau grelottant, / Boule emplumée sur le toit, / Rêve au nid défunt» (B. Hirami, 1919). Tout est fini mais il reste le décompte, la perte absolue des proches que l’on ne sait encore dans quelle langue pleurer. «Je n’irai pas au cimetière / Je cherche son souvenir, / Et non son cadavre.» (René Monblanc, 1919). Il reste, longtemps après, la difficile mise en forme de la langue pour évoquer ce chaos où l’être déversé ne parvenait pas à se saisir, où le flux héraclitéen des événements interdisait non seulement toute compréhension de la chose, mais toute connaissance de soi, voire toute sensation de ce moi charrié sans ménagement dans le désordre et la confusion de la matière nue. «Le feu sur nous, le feu !» (Anonyme). Le feu où se tenir, grelotter, terrifié, seul sans rien d’autre que cette solitude immense que suppose la forme des Haïkus, pour faire face à l’immanence qui les encerclait, avec la boue pour seule essence, comme seul «être» du poilu. «Un trou d‘obus / Dans son eau / A gardé tout le ciel.» (Anonyme. Quelques syllabes pour franchir enfin l’abîme. Pour rapporter la démesure. Quelle autre scansion sinon celle d’un souffle court lorsque l’être se voit tout près de basculer dans le vide qui l’épouvante ? «Côte à côte l’hiver / Deux buissons de fils barbelés ; / En mai, l’un fleurit d’aubépine.» (Henri Durart, 1er mai 1923). Ces poussières de poèmes (titre d’un recueil de poésie publié par Georges Sabiron en mars 1918), auront fini par aider à surmonter le contingent charnel de cette boue qui bestialisait le soldat et l’enfermait dans son inhumanité souffrante. Mais à quel prix ? «Quelques vivants épars sur la foule couchée / Le général met du rouge / A ceux qui n’ont pas saigné.» (Jean-Paul Vaillant, poèmes inédits).
 
 
En pleine figure, Haïkus de la guerre de 14-18, éditions Bruno Doucey, anthologie établie par Dominique Chipot, préface de Jean Rouaud, 31 octobre 2013, 176 pages, 16 €, ISBN :978-2-36229-056-5.
 
 
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9 mars 2014 7 09 /03 /mars /2014 05:31

Isabella-Rossellini-by-Robert-Mapplethorpe« Diotima, ô bienheureuse !  

Âme sublime, par qui mon cœur

Guéri de l’angoisse de vivre

Se promet la jeunesse éternelle des dieux !

Il durera, notre ciel !

Liés par leurs profondeurs insondables,

Nos âmes, avant de se voir,

S’étaient déjà reconnues. »  

 

(Hölderlin, Diotima – 1795-1798)

 

 

 

 

 

image : Isabella Rosselini par Robert Mapplethorpe

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9 janvier 2014 4 09 /01 /janvier /2014 05:29

Ari_Sitas.jpgI.

Je me suis fait sangler par eux à un siège et ils ont soulevé mon corps gonflé, pourrissant au soleil

et ils m'ont porté le long de chemins âcres, sinueux

pour me descendre à la mer.

 

Ils vont nous compter après le déluge et nous serons

toujours deux

je pensais

après le déluge, nous serons comptés deux par deux

je pensais

mais au fond de moi je savais que l'Afrique avait des

façons plus sages

et sur la route, l'os et l'arbuste coupaient profondément

mon âme

 

ils vont nous compter un à un à califourchon sur nos lits

isolés

sinon ils ne vont pas nous trouver quand le décompte

commencera

et nous allons nous éloigner avec juste notre souffle

putride

et nous allons tailler le paysage

sans charrue, ni fleur ni coeur

                             non, avec une hache.

 

 

traduit de l'anglais par Katia Wallisky et Denis Hurson.

 

Pas de blessure pas d'histoire, Poèmes d'Afrique du Sud 1996-2013, édition dirigée par Denis Hirson, collages A.D. Sauzey, Bacchanales n°50, Maison de la poésie Rhônes-Alpes, Biennale internationale des poètes en Val-de-Marne, nov. 2013, 228 pages, 20 euros, isbn 13 : 978-2-36761-002-3. 

 

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8 janvier 2014 3 08 /01 /janvier /2014 05:05

vonani-bila.jpgPas de blessure, pas d’histoire… Le titre de l’opus est à prendre avec des pincettes et pourrait même paraître douteux à laisser entendre qu’au fond, l’Histoire ne pourrait s’écrire que dans la douleur… D’autant que le pays dont il est question en a supporté plus qu’à son tour, qui commence tout juste de s’affranchir de l’apartheid. La poésie d’Afrique du Sud se dévoile ainsi, pleine d’énergie, d’inventions, d’intentions. Diversifiée à l’extrême plutôt que partant dans tous les sens, couvrant tous les registres, du plus intime au plus collectif de l’être, articulant le social au personnel, le politique au quotidien, sans jamais se délester des sommations des questions d’identité.

histoireAfrik-sud.jpgFin 80, tout commençait alors. C’est là qu’elle semble plonger ses racines, son renouveau, davantage que dans la période spécifiée ici, difficile et confuse, en particulier celle des années 1996– 1998, qui vit la mise en place de la fameuse Commission Vérité et Réconciliation, rouvrant les tombes, captant les témoignages, les voix, arrachant des mains spoliées ou sanguinaires le chagrin et la clémence qu’appelait Mandela (Antjie Krog) en un immense travail de mémoire que peu de nations ont osé affronter. C’est que l’humain faisait alors de nouveau surface, s’offrant enfin au surgissement de l’Histoire dans un moment infiniment, intimement politique. Un temps au cours duquel on lisait des poèmes pendant les audiences de la Commission ! Comme si la poésie avait été la seule langue dans laquelle ouvrir un vrai débat collectif, la seule à savoir prendre la mesure de la tâche qui attendait l’Afrique du Sud ! Bourreaux et victimes assis sagement pour entendre cette poésie s’énoncer et exhorter Mandela à ne jamais oublier que le combat n’est jamais fini. Cette même poésie qui, en 2008, prendra à sa charge la lutte contre la xénophobie qui fit de nouveau irruption dans le pays. Chargée de tout le malaise que procurait une présidence incapable d’enrayer la corruption galopante, les vieilles habitudes des nantis qui refaisaient surface. Cette même poésie qui vint frayer son jour sous les paupières presque closes de Mandela, dans cet étrange suspens du temps de son agonie. Le regard vigilant, à scruter l’impact énorme de la situation historique sur la vie intime des êtres.

amandla.jpgLe poète africain s’est fait critique, passeur. Et parce qu’il nourrissait un grand espoir pour les êtres de cet étrange contrée, il conservait dans le même temps une fabuleuse exigence pour les dirigeants du pays. Le combat n’est jamais fini. Les poètes sud-africains ne voulaient pas imaginer que les choses pouvaient en rester là. Nous aimons-nous comme cela ?, interrogeaient-ils. Une question qu’il serait bon de voir la France se poser… Ils convoquèrent cette mémoire marquée au fer rouge. L’apartheid les avait blessés. Durablement. Cristallisant le politique dans l’intime de chaque chair. Et c’est peut-être la raison pour laquelle, à lire cet ensemble, on y éprouve tant de proximité, d’intimité : la pleine mesure du poids du monde balançant entre le trivial et le sublime, qui sont les vrais lieux du poème.

Cette poésie, Denis Hirson la scrute avec passion. Il l’a lue, ressentie, étudiée enfin. Il l’a scrutée et a observé comment elle s’est libérée de ses chaînes formelles. Il observe avec une rare acuité comment la question du temps y est vrillée. Un temps enfin libéré, démultiplié en temporalités distinctes où le plus lointain du passé africain remonte avec force pour féconder l’aujourd’hui. Tout le contraire de ce temps assiégé, investi, enfermé, cadenassé sous l’apartheid. Mais un passé en construction, s’ouvrant à tous les possibles de ses étendues pour former peu à peu une mémoire enfin collective, partageable enfin, réellement et non quelque idiome à l’usage des seuls nantis. Les Africains ont traversé les montagnes, les continents, les mers, les époques et le pire de l’humain. Et ce flux incroyable de voyageurs nés fait retour ici, pour nous offrir un territoire qui n’est plus borné mais s’offre à penser comme monde ouvert à l’ouvert. Pour preuve, le fourbissement des langues qui traversent cette anthologie : pas moins de onze, souvent chevillées au cœur d’un même poème, comme le pratique un Vonani Bila, passant de l’anglais au tsonga, du tsonga au sotho du nord ou au zoulou. Un élan incroyable a envahi cette poésie sud-africaine, contrainte, faute de traducteurs, de se traduire elle-même, de chercher les voies pour le faire, entre l’argot des townships et les poèmes à forme orale, entre l’arabe, le russe et le français, pour fomenter une langue infiniment jouissive, inventive, révélant la seule chose qui compte : l’intimité des relations humaines, dans un pays où jusque-là on lançait les uns à la figure des autres.

 

Pas de blessure pas d'histoire, Poèmes d'Afrique du Sud 1996-2013, édition dirigée par Denis Hirson, collages A.D. Sauzey, Bacchanales n°50, Maison de la poésie Rhônes-Alpes, Biennale internationale des poètes en Val-de-Marne, nov. 2013, 228 pages, 20 euros, isbn 13 : 978-2-36761-002-3.

 

Vonani Bila : http://www.joel-jegouzo.com/article-silence-de-vonani-bila-afrique-du-sud-117993216.html

 

Ari Sitas :http://www.joel-jegouzo.com/article-ari-sitas-biennale-internationale-des-poetes-118111052.html

 

http://www.joel-jegouzo.com/article-afrique-du-sud-une-traversee-litteraire-118239782.html

 

Gcina MHLOPHE :http://www.joel-jegouzo.com/article-souviens-toi-president-121922952.html

image : Vonani Bila, invite d ela librairie L’établi, à Alfortville (94400)

 

 

 

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