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9 novembre 2010 2 09 /11 /novembre /2010 08:49

sartre.jpgSartre s’interroge en 1947. Mais c’est une interrogation de philosophe.

Où trouver l’appui qui l’enracinera dans cette dimension du sens dont parlait March Bloch ?

Qu’est-ce que la littérature, dans cette dimension du sens commun qui la fonde ?

Quand y a-t-il littérature ?

 

 

Faisons vite : la question ne se pose presque plus déjà quand Sartre la pose. Gracq est en passe de lui donner une conclusion deux ans plus tard, dans son pamphlet : La Littérature à l'estomac. Une manière de remettre les pendules à l’heure (d’été), non sans intelligence ni talent, ni raison du reste. Mais avec Gracq, il ne s’agit déjà plus que de partager le gâteau. Les prix littéraires en deviendront la forme la plus achevée : une farce pour les générations futures. Gracq affûte donc une arme redoutable : l’autonomie du littéraire. La transposition, en somme, de la réquisition de Heidegger dans le champ littéraire.

 

Quelle fin poursuit la littérature ? Aucune. Ce qu’elle est réellement ? Demandez à Mallarmé, désabusé : ce n’était donc que cela, la création littéraire : un pur jeu formel… Mais à l’époque de Gracq, cela fait figure de manifeste. Contre Sartre. On trouve l’idée élégante, en plus d’être rassurante. Exit l’Histoire. La littérature dégagée. Il n’y a plus rien à voir, peut-être plus grand chose à lire, il n’y a pas de conscience littéraire, et s’il en existe une, elle ne reflète rien. Si : son potage de lettrines et de poncifs accumulés à la hâte, voire de dissertation scolaire poussive mais aux allures grammaticales coruscantes sur la carte et le territoire. Le tout articulé par une propédeutique de la lecture à combler d’aise les maisons d’édition : enfin un auteur qui va nous faire vendre du bouquin. Car pour Gracq, seule la grâce du lecteur peut fonder le plaisir du texte, comme le dira plus tard Barthes, et seul ce plaisir actualise le pacte littéraire –en attendant que le pacte ne se scelle ailleurs bientôt, hors des usages du texte, sur cette autre scène où se joue l’image de l’auteur. Du coup, la littérature connaît son premier glissement : libérée des gros clous de l’Histoire, elle devient un marché. Enfin… On parle encore, dans les officines, d’une "demande" à laquelle répondre. Réponse faite pour apaiser les consciences dans un pays où la littérature reste un mythe fondateur de l'idée nationale.

D’un côté donc, chacun sa niche : on taille le marché en parts. On promeut même l’élargissement de la cible : pourquoi ne s’en tenir qu’aux seuls lecteurs ? Puisque le livre est un produit, le non-lecteur fournira demain la clientèle de masse de ce marché. Superbe malice. Au terme de laquelle, évidemment, ne survivront que les vedettes de la littérature show-biz. Les chanteurs de charme, comme l’écrivait Pierre Senges. Ce fut le grand miracle de l’après-Sartre. Aux enfants de Gracq, pour faire vite, il ne restait qu’à devenir les actionnaires d’une société de consommation bâtie sur ce vide, et dont la logique ne servirait en fait qu’à redistribuer les dividendes du marché (du livre).

Voilà. On y est. A en toucher le fond bientôt. Rien d’étonnant à ce que le formalisme ait fini par régner en maître dans les Lettres françaises : il n’ouvrait en somme qu’à des querelles de tirages. Et encore, l’époque du formalisme était une époque bénie, du point de vue de la qualité littéraire des textes promus sous leur manière. Restait à mettre en place les hiérarchies : la Blanche, et les autres littératures. Une littérature des élites (?) et des littératures populaires, avant d’en joindre, ultime pied de nez, les deux bouts dans la foirade des Prix.joël jégouzo--.

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27 septembre 2010 1 27 /09 /septembre /2010 07:53

romicide-new.jpg"Après tout, les gens du voyage, c’est rien que des gens sans importance"...

 

 Rennes. Une vie de petits boulots à désosser les carcasses des bagnoles pour en tirer quatre sous. Flashback : la Hongrie en 1942. Les milices des Croix fléchées organisent leur chasse aux rroms – Le Zigeunfrei… En Europe, l’éradication massive des populations nomades vient de commencer. Et aujourd’hui, dans la banlieue de Rennes, les survivants sont acculés à vivre dans la précarité. Comment survivre dans pareil dénuement ? Des centres de rétention ont discrètement été ouverts par l’administration française. La vase plutôt que la boue, aux portes des caravanes. Rennes, de nos jours. Dans un rouleau de moquette, la police trouve un corps. Les pieds découpés. La PJ enquête : il s’agit du cadavre d’un homme de soixante-dix ans. Rinetti, le gardien du camp des rroms, né à Ivry-sur-Seine, fils d’immigré italien, subit la pression des flics pour de mauvaises casseroles qu’ils traînent derrière lui. Il doit jouer les indics. Lui, l’ami des rroms jusque là. Qui se rappelle la grande rafle de 1992 (déjà). Et avant cela, les fréquents séjours des militants de l’ETA en quête d’une étape de confiance. Irlande, Pays Basque, se dessine une fraternité européenne des ex-peuples en lutte. Une histoire d’exilés, de squats, celle aussi d’une mémoire très ancienne des répressions qui frappèrent le peuple rrom en France : dans le camp, on sait encore raconter les Brigades de Clémenceau, fichant systématiquement les rroms pour constituer un fichier (au fait, qu’est-il devenu ?). Ou bien les sales besognes de l’Administration française, internant les rroms dans ses camps, comme celui de Fargeau, de Montreuil-Belley, de Pontivy et tant d’autres, avant de les livrer aux nazis… Des rroms venus d’Europe de l’Est pour finir assassinés en France. Rennes, de nos jours. La PJ organise une rafle. Sait-on jamais : l’assassin du vieux pourrait être l’un des leurs. Une obscure vendetta, une vengeance : l’homme avait trahi les siens, il y a des années de cela...

De beaux portraits d’exilés dans ce polar qui obtint le Prix du Polar SNCF en 2001. Un roman entièrement révisé, annonce l’éditeur, qui cependant s’achève sur une vision par trop commode du monde rrom des camps, à mettre en avant l’omerta qui devrait y régner –mais quand on énonce "Omerta", on tait les raisons du silence des gens de peu, des exclus, des pourchassés. Silence que l’on assimile par un jeu langagier convenu à celui des mafieux ! Or, une société fragile ne peut être qu’une société de la prudence, de la méfiance, de l’aphasie. C’est cela que le roman rate en filant au plus court une fable que l’on ne nous a que trop servie. Dommage, il y avait de la richesse dans ce travail, et matière à écrire un autre polar, peut-être même dans un autre décor, pour laisser surgir la voix des rroms !--joël jégouzo--.

 

Romicide, de Gianni Pirozzi, Rivages, nouvelle édition août 2010, coll. Rivages/Noir, 203 pages, 7,50 euros, ISBN-13: 978-2743620912.

 

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13 janvier 2010 3 13 /01 /janvier /2010 13:46

limbes"Bavasser" serait-il donc l’ultime langage de l’humanité ?


Beckett supposait l’échange verbal saturé de mauvaise compréhension.
C’était du reste une attitude qu’il partageait avec les philosophes allemands du langage, qui depuis le XVIIIe siècle avaient battu en brèche la claire compréhension cartésienne.
La "machine verbale", plutôt que d’accoucher de l’humanité, n’en finissait donc plus de produire des monstruosités et des significations débiles – nous en savons quelque chose désormais.
Et l’homme en souffrait. Tiré à hue et à dia , l’"ou-bien" le faisait vaciller : tel l’âne de Buridan, comment choisir entre deux significations fondamentalement privées de sens ?
Ne parvenant pas à éviter le marécage de l’entre-deux, nous bavassions depuis sans grande conviction…

L’hommage de Nancy Huston à Beckett n’est au fond qu’une leçon de langue beckettienne. Comme si cette dernière était une matière dont chacun pouvait disposer désormais. Sans doute parce qu'après Beckett, il était difficile d’habiter tranquillement sa langue… Et qu'il semblait néanmoins en rester une pour dire cette difficulté : celle de Beckett, précisément. Curieux paradoxe... Ou curieux aveuglement : toute langue ne se déploie-t-elle pourtant pas sur son manque de substance ? Si bien que faire de Beckett un idiome, ne revient-il pas à combler l’entre-deux qu’il avait pointé ? Et s emettre dès lors à parler une langue morte, de trop bien savoir l’exprimer... L’inquiétude qui avait poussé Beckett à parcourir une langue aux usages vacillants a disparu ici, pour faire place à une belle habileté d’écriture, trop convenue pour n’être pas, justement, l’empêchement de la langue que Beckett dénonçait.—joël jégouzo--.


Limbes/Limbo, Hommage à Samuel Beckett, Nancy Huston, Actes Sud /Leméac, coll. Un endroit où aller, nov. 2000, 58p.,

ISBN-13: 978-2760921788

 

ISBN-13: 978-2760921788

ISBN-13: 978-2760921788

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12 janvier 2010 2 12 /01 /janvier /2010 08:34
lectureDans le même temps où l’on créait en France, en 1959, un Ministère de la Culture, les élites intellectuelles et politiques s’inquiétaient de l’apparition d’une culture de masse...
Elle découvraient, effarées, l’existence de cultures hétérogènes, porteuses de valeurs qui pouvaient être antagonistes au sein d’une même société, voire d’une même classe ou d’un même groupe. Quoi, dans ces conditions, de la fonction sociale de la lecture ?

De Sartre à Barthes, revint comme un credo l’idée qu’il existait deux types de lectures, l’une intensive, l’autre extensive.
La première prétendait relever d’une démarche quasi philosophique, tandis que la seconde se voyait rejetée, non sans mépris, dans l’ordre du romanesque. La question du lecteur, évidemment, ne se posait qu’à l’intérieur d’une configuration intellectuelle qui le dépouillait de toute pertinence quant à l’évaluation de son acte. Il y avait des bons et des mauvais lecteurs, il fallait éduquer les derniers…
Il y aurait donc une pratique cultivée de la lecture qui serait la vraie, à laquelle s’opposerait une pratique populaire...
Faguet ouvrit tout de même une brèche dans ce moralisme indigent, en affirmant qu’il n’y avait au fond que des livres, introduisant des modalités de lecture différentes.

Le livre justement, depuis les années 1960, est devenue une valeur consensuelle. Il ne l’a pourtant pas toujours été : au XIXe siècle par exemple, on pensait que le peuple lisait trop. Et de nos jours, seule une infime minorité d’intellectuels essaient de penser vraiment les conséquences de l’abandon des valeurs d’une civilisation fondée sur le livre et la lecture (Sloterdijk). Non sans raison, ils montrent que la lecture lettrée n’est plus le paradigme de la culture. Sa valorisation inconditionnelle, assortie d’une inquiétude sociale pour les non-lecteurs, n’est devenue un thème politique qu’à partir des années 1950.

Qu’exprime donc la lecture dans nos sociétés ? A travers son «universalité», tente-t-elle de reformuler une sorte de religion d’après la religion ? La mort de Dieu aurait-elle impliqué l’assomption du Livre ? Tout se passe en effet comme si les critères de la valeur littéraire, en se substituant aux critères de moralité, remplissaient la même fonction… Quand on ne parle pas tout simplement de lien social. Mais la lecture est-elle vraiment le lieu du lien social ?

Anne-Marie Chartier et Jean Hébrard n’ont pas répondu à ces questions. Ils en ont construit les fondements. Ce n’est déjà pas si mal… Leur immense travail décrit ainsi une pratique qui peu à peu s’est inscrite dans la sphère privée, alors qu’elle relevait pour l’essentiel de phénomènes sociaux. Histoire politique, sociale, culturelle, ils nous éclairent sur les modèles qui se sont disputés ses enjeux. Trois, essentiellement : catholique, républicain et celui d’un corps voué à son «administration» : celui des bibliothécaires. Au fil du temps, les parentés des deux premiers s’établissent clairement : la lecture relève de la formation morale, critique, intellectuelle, voire civique de l’individu. Face à cela, les bibliothécaires mirent en place un discours paradoxalement plus «consumériste», et inventèrent l’idée de lecture comme aventure personnelle. C’est cet horizon qui paraît triompher dans nos sociétés, y compris dans le monde scolaire, où la lecture est devenue, peut-être à l'excès, moyen et non fin.

Le Livre introduit aussi directement à une certaine idée de la société. Les humanités classiques, dont il constituait l’assise, maintenaient l’idéal d’un monde humain fictif construit sur l’idée d’une société unanime et centrée. A l’heure où nous découvrons qu’il pourrait exister une culture sans littérature, quels enjeux la lecture peut-elle représenter ?
joël jégouzo--.

Discours sur la lecture (1880 – 2000), Anne-Marie Chartier, Jean Hébrard, éd. Fayard / Bibliothèque du Centre Pompidou, 762 p., août 2000, 29 euros, ISBN-13 :  9782213607351


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