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13 octobre 2014 1 13 /10 /octobre /2014 04:48
 
pauperisme.jpgEn 1999 les éditions Allia publiaient dans une édition abordable les deux mémoires que Tocqueville consacra au paupérisme (1835, 1837). Jusque là, on ne trouvait l'un qu'immergé dans les Œuvres Complètes (Gallimard), ou dans la Pléiade, tandis que l'autre, réédité pour la deuxième fois en 1989 seulement, était tout simplement oublié. Deux textes courts peu étudiés - signalons l'article que leur a consacré Michel Bressolette dans les Annales de la faculté des lettres et sciences humaines de Toulouse, tome XVI, en 1970 ; étude toutefois très éloignée de toute implication politique. Or, ils ouvrent l'un et l'autre comme un défi, non seulement dans la pensée de Tocqueville, mais dans cet espace intellectuel dont la géométrie est pour le moins variable : le libéralisme. Ils permettent même de réévaluer celui de Tocqueville. Si bien que l'on peut penser que s'ils n'ont pas fait jusqu'ici l'objet d'une critique sérieuse, c'est tout simplement parce que leur oubli sert une logique : celle d'assigner à résidence Tocqueville dans la maison libérale. Rien d'étonnant au demeurant : le texte de 1835 avait déjà du mal à trouver sa place au sein de l'immense littérature sur le paupérisme, qui s'est développée tout au long du XIXème siècle. Dans ce texte, s'il dénonce la charité légale, du moins Tocqueville se montre-t-il très critique à l'égard du marché dans sa fonction de régulateur de la question sociale. Il est intéressant, au demeurant, de rapprocher ce texte de ses Notes de voyage en Angleterre et en Irlande (1833, 1835), dans lesquelles il déplore les ravages du paupérisme et dénonce l'inefficacité des lois supposées de la main invisible. Dans le second mémoire, Tocqueville cherche des solutions, tant cette pauvreté croissante de l'époque lui paraît menacer de rompre le pacte social, fondement même des sociétés démocratiques. Il formule ainsi les principes d'une nouvelle forme d'intervention de l'Etat pour assurer la solidarité. Ambition qu'on pourrait volontiers qualifier d'Etat situé, limitant son action dans le principe, les objets et le temps, et moins proche de la démocratie libérale ou de ce que l'on nommait il y a peu encore la social-démocratie...
 
Sur le paupérisme, Tocqueville, Allia, Collection : Petite Collection, 8 février 1999, 88 pages, 6,20 euros, ISBN-13: 978-2911188954.
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3 octobre 2014 5 03 /10 /octobre /2014 04:50
 
guerre-d-Algerie.jpgLa Guerre d’Algérie racontée aux collégiens, par un écrivain et un dessinateur qui ne l’ont pas connue (le plus âgé est né en 1955), mais en ont héritée à travers leurs parcours familiaux en particulier. De cette guerre dont on se refusait à dire le nom, ils ont conçu une histoire sans fard, affrontant ses dimensions les plus viles, dès le début de la colonisation dévoilant enfin l’état de misère absolue dans lequel cette conquête plongea les autochtones. Tout y est bien sûr, de cette vérité que l’on refusa d’écrire longtemps en France. Les dates essentielles, l’empire colonial, Jules Ferry déclamant que «les races supérieures ont le devoir de civiliser les races inférieures», tout comme de la résistance très précoce des populations civiles. Avec, déjà, bien avant la torture, les exactions sans nombre que subirent les algériens, dont cette pratique ignoble des «enfumages» de paysans gazés dans les grottes où ils se réfugiaient. Les grandes figures de la résistance algérienne prennent aussi dans cet ouvrage une dimension réelle, d’Abd el-Kader à Lalla Fatma, l’égérie de Djudjura. Le tout signant une souvenance sans appel, qui nous convie par exemple à réaliser que de 1830 à 1871, la population d’Algérie chuta de moitié, victime de la famine imposée par le colonisateur, et ses exactions. Mémoire oubliée aujourd’hui, qui voudrait opposer la période barbare de la guerre proprement dite à un temps édénique de valorisation et d’organisation de la colonie de l’autre côté de la Méditerranée, quand dès les années 1830 fut mise en place une politique de repeuplement du territoire inaugurée par la confiscation des terres des algériens et la construction de villages «blancs» exigeants de leurs serfs l’abjuration de leur religion. Ce jusqu’au code de l’indigénat de 1881, qui scella une fois pour toute le déshonneur français. L’histoire se poursuivit ensuite comme l’on sait, avec la montée de l’insurrection et la torture élevée au rang de stratégie militaire, dénoncée dès 1955 par une poignée de journalistes courageux.
 
 
Algérie 1954–1962, la sale guerre, Gérard Dhôtel, Jeff Pourquié, Actes Sud Junior, septembre 2014, 112 pages, 15 euros, ISBN 978-2-330-03464-1.
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2 octobre 2014 4 02 /10 /octobre /2014 04:09
 
edwy-plenel-musulmans.jpgPour être franc, je n’aime pas Edwy Plenel. Je ne l’aime pas depuis son long article du Monde contre le «non» majoritaire des français au projet de Constitution européenne du 29 mai 2005, insultant ses propres lecteurs quand la bêtise était justement de vouloir cette Europe qui nous a conduits dans le mur que l’on sait. Je ne l’aime pas, mais peut-être que le livre qu’il vient de signer sera-t-il de quelque utilité à une cause des plus urgentes : celle de la lutte contre le racisme anti-musulman.
C’est donc aux élites et à la banalisation de ce racisme que s’en prend Edwy Plenel. Une islamophobie qui, à ses yeux, rappelle le prétendu «problème  juif» d’avant la catastrophe européenne, la préparant aveuglément. Une prise de position salutaire, dans un pays tout entier inféodé  à «la langue de la bienséance des discriminations». Finky en tête de gondole, parti grotesquement en croisade au nom de ses «souchiens» de compatriotes, rejoint sur son sentier de peu de gloire par un Renaud Camus vociférant son «grand remplacement», et l’on en passe, de ceux que l’ère buisson-sarkozy a pu ravir. Ce sont ainsi surtout les passions de la France raciste d’en haut qu’il relève, à juste raison, encourageant une montée spectaculaire des violences contre les français d’origines maghrébine, boucs émissaire du XXIème siècle. Un racisme qui est le fruit conscient d’une politique sciemment conduite, déguisé sous le terme hypocrite d’islamophobie, inventé pour dissimuler l’ampleur de cette discrimination qu’il désigne en vrai. Le marqueur musulman aura ainsi supplanté le marqueur juif dans une France d’en haut décidément douteuse. Une France crapuleuse, hypocrite, autorisant derrière sa prétendue défense de la laïcité toute cette nouvelle droite (socialiste) à user des mêmes bon vieux réflexes de la pire nation que nous ayons portée en nous… La laïcité… Un cache-sexe pour autoriser d’être raciste sans avoir encore à trop l’exposer. Un cache-sexe spécifiquement républicain, socialiste, sanctifiant l’hégémonie du discours raciste de la classe politique. C’est une alarme donc, que lance Plenel : l’engrenage est en place, qui engage la responsabilité des médias et des politiques. Un engrenage alimenté aujourd’hui par Valls après Buisson, désignant une religion comme ennemi de la démocratie. Valls parti en guerre à son tour contre une partie de la population française, celle qui réside dans ces fameux quartiers dits «sensibles», parce que «populaires» sans doute. Que l’on comprenne bien le sens de ces transgressions qui, de la Droite à la Gauche n’ont suscité aucun remous dans la classe politique : même dérive générant des tensions sociales sans précédent, Valls évoquant désormais un «ennemi intérieur», sans rire : une idée qui avait fait florès au temps de la Guerre d’Algérie !  La triade UMP, PS, FN solidaire sur ce front, a fait sienne le conseil d’un Carl Schmitt, ce théoricien du nazisme, confiant aux hommes politiques de son temps qu’est «souverain celui qui décide de la situation exceptionnelle» (Théologie politique, 1934). A ce compte, oui, ils sont bien souverains, avec la complicité des médias, de tant travailler à créer de toute pièce les conditions de l’exception française : la chasse aux rroms et aux musulmans…
 
Pour les Musulmans, Edwy Plenel, LA DECOUVERTE, 18 septembre 2014, Collection : CAHIERS LIBRES, 135 pages, 12 euros, ISBN-13: 978-2707183538.
 
 
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30 septembre 2014 2 30 /09 /septembre /2014 04:51
 
Esclavage-reparation.jpgEn 2001, Christiane Taubira voulut très officiellement reposer la question des réparations aux descendants de l’esclavage français, toujours plongés pour la plupart d’entre eux, par-delà les siècles, dans une situation sociale précaire. Son texte de Loi fut jeté aux poubelles. Le gouvernement français refusait de se situer dans une perspective d’indemnisation. Archaïque, incongru, trop tard…Des siècles avant elle, Tocqueville avait donné le La, qui allait être la doctrine de la France en la matière : «Si les nègres ont droit à devenir libres, il est incontestable que les colons ont droit à n’être pas ruinés par la liberté des nègres»… Sans commentaires…. Une affaire de gros sous donc. Indigne. Et masquant le peu de lumière d’une décision passant outre ce fameux esprit des Lumières françaises, le salaire dû à l’affranchi pour son travail d’esclave leur paraissant indu… Mais la France fit bientôt mieux : la IIème République dédommagea les colons pour leur manque à gagner du fait de libération de leurs esclaves ! Balayant d’un revers méprisant de la main la question essentielle des fondements politiques de la Justice, aux yeux de laquelle les réparations ne trouvaient pas leur place… Que l’on y songe : en France, on n’a cessé d’abolir l’esclavage, à de nombreuses reprises, jetant dans une liberté précaire des êtres humains sommés de se débrouiller seuls dans leur misère… Hors propos, anachronique n’a –t-on cessé de clamer depuis, et ce jusqu’à Christiane Taubira. Anachronique ? L’essai de Louis Sala-Molins montre en fait combien cet anachronisme a été construit… Car dès le XVIIème siècle, quelques rares voix éclairées posèrent avec force la question des réparations ! Deux capucins en particulier, que l’auteur sort de l’anonymat. Francisco José de Jaca et Epiphane de Moirans. Deux hommes d’église que l’Histoire officielle s’est empressée d’ignorer, pour nous filer aujourd’hui le récit de l’anachronisme… L’un était aragonais, l’autre jurassien. «Les Noirs, affirmaient-ils dès 1678, qu’on marchande et qu’on tient pour des esclaves sont libres. Leurs maître sont obligés de les libérer à l’instant, et de leur payer ce qui leur est dû pour leur travail.» Le Pape reçut copie de ces mémoires, qui décrivaient par le menu tout l’ignoble système en place. Le Roi d’Espagne reçut ces mémoires, toute la hiérarchie cléricale et la noblesse européenne également. Rien n’y fit. On les jeta en prison, on leur confisqua leurs manuscrits, leurs papiers, ils furent envoyés en exil et pour réponse, le Code Noir (1685) vint clôturer le débat. Bien avant les Lumières donc, et leurs interminables moratoires, Francisco José de Jaca et Epiphane de Moirans avaient démontré l’évidente liberté naturelle des noirs, et pointé la réparation économique comme seul moyen de reconnaître entièrement leur droit naturel à la liberté et la dignité…
 
 
Esclavage / Réparation, de Louis Sala-Molins, éditions Lignes, 22 septembre 2014, 156 pages, 14,00 EAN : 9782355261329.
 
 
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29 septembre 2014 1 29 /09 /septembre /2014 04:54

 

dupond-dupont.jpgLa nouvelle droite (socialiste) perd ses prébendes. La vieille droite les récupère. Et deux sénateurs Fn font leur entrée au Sénat. De quoi alimenter l’effraie républicaine et préparer demain le terrain du prétendu vote républicain. C’est lassant… Prochainement sur nos écrans, la Droite récupérera vraisemblablement le pouvoir. Le jeu de bascule y pourvoira, contre la peur du FN et malgré la déferlante abstentionniste. Le PS, lui, comptera les points, ne sachant trop où camper pour récupérer des voix. Son ancien électorat de gauche lui tournera le dos, avant même qu’il ait su convaincre l’électorat de droite de voter Valls. La fin du PS, entamée par François Hollande, son grand liquidateur, interviendra sans doute trop tard : il sera peut-être pris de vitesse par la recomposition made in Sarko, elle-même sur le doute mais s’offrant comme une nécessité pour sauver le camp des postiches républicaines. Valls, un temps, pouvait espérer organiser cette merveilleuse synthèse de l’UMPS.  Mais il est sans doute trop tard. Encore que… Peut-être aura-t-il le temps de refiler le mistigri à Sarko. A vrai dire, seul le vieillissement du corps électoral parviendra à sauver nos vieux briscards de la votation… Et maintenir peut-être une dernière fois l’idée mensongère d’une partition gauche / droite. Une course est donc engagée, pour que le FN ne parvienne pas au Pouvoir mais fasse semblant d’y parvenir. Une course engagée par les partis de pouvoir : l’UMP, le PS et le FN. Qui n’est pas exclu de cette stratégie, bien au contraire : il en est la pierre de touche, fondamentalement nécessaire pour le maintien au pouvoir de nos compères de l’UMPS. Qui ne représentent plus rien, ni l’un ni l’autre. Faites le vrai décompte des suffrages exprimés, des nuls, des abstentions, vous le verrez assez ! La fin du PS est entamée. Donc. Son socle électoral se réduit comme une peau de chagrin malgré ses débordements à droite. Certes, il lui reste encore à piocher du côté des couches intellectuelles –en transit vers la droite historique. Du côté des cadres supérieurs aussi. Il lui reste bien sûr ses bobos attachés à leur gauchisme culturel, gauchisme culturel qui l’embarrasse tout de même un peu : un temps, Hollande avait courtisé les musulmans de France, mais si éloignés de nos bobos parisiens qu’il lui a fallu faire un sérieux grand écart pour tenter de les maintenir dans son giron. D’autant que le racisme souterrain des discours de Valls n’a pas non plus contribué à aider… Peut-être restera-t-il tout de même quelques fonctionnaires pour voter PS, ou sa refondation. Et quelques territoires privilégiés, dans tous les sens du terme : Paris… Mais il prend tout de même sérieusement le chemin de la disparition. Valls a beau rivaliser sur le même terrain que celui de Sarko, il lui sera difficile de séduire les abstentionnistes qui vont se compter par millions de nouveau. Ou ces français des territoires « périphériques » comme les nomme très justement le sociologue Christophe Guilluy, exclus de la richesse nationale. Reste à se partager avec l’UMP le gâteau des bénéficiaires de la mondialisation. Les derniers discours de Valls, relayés par le patronat, allaient dans ce sens. Mais il est bien tard tout de même…

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27 septembre 2014 6 27 /09 /septembre /2014 04:34
said.jpgLes éditions Sinbad ont publié une étude d’Edward Saïd parue en 1997, fort heureusement actualisée quelques mois avant sa mort. Or de 97 à nos jours, force lui aura été de constater que le regard porté par les médias sur l’Islam a gagné en manichéisme brutal, en hostilité et en bêtise. Au point que l’Islam incarne aujourd’hui la menace suprême, la seule –un vrai complot contre l’humanité. Le sondage publié par le Figaro mercredi 24 septembre 2014 en témoigne largement (un complot pour l'occasion, en vrai, contre la communauté française musulmane), suivi de son article partisan intitulé «L’image de l’islam se détériore fortement en France»... Et de la question hallucinante posée en toute bonne conscience : "estimez-vous suffisante la condamnation des musulmans de France ?"... Et j'en passe, d'aussi insultantes, terrifiantes, attentatoires à l'idée nationale même...
Les préjugés orientalistes, révèle Saïd, les suivant au mot près pour en dresser le relevé méticuleux, balayés naguère au terme d’un effort lui-même déjà impensable, ont fait un fracassant retour et jouissent d’une popularité effarante. Rien ne lui échappe, des discours sur la pseudo mentalité arabe (comme si les mondes arabes étaient "un"), à ceux sur la religion et la culture musulmane, subsumées toutes deux sous le même générique (c’est médical) d’un Islam nécessairement radical. Or l’Islam, rappelle Saïd, ne définit qu’une petite part du monde musulman, fort de plus d’un milliard d’êtres humains, est-il bon de rappeler ! Et cet Islam, en outre, n’est pas soluble dans le terrorisme…
Aucun autre groupe religieux ni culturel, démontre Saïd, n’est soumis de nos jours à pareil régime. Et de pointer les intellectuels complices de ce laisser-faire, alors que dans le même temps, depuis 1991, aux Etats-Unis même, un groupe de recherche a été formé, doté de moyens conséquents –on l’imagine !-, qui vient de publier une première conclusion à ses travaux, et en cinq volumes encore, avouant qu’au vrai, toute définition plausible du fondamentalisme est impossible, et qu’on ne saurait l’associer à l’Islam qu’abusivement et en toute ignorance de la diversité des mondes musulmans et arabes… Mais non. Rien n’y fait. L’Islam demeure associé à la haine de toute pensée politique, à l’idée de ségrégation sociale, à celle d’infériorité civilisationnelle, à celle du déficit démocratique, etc. A croire ces médias, l’Islam serait une religion psychotique, dissimulant à grand peine une idéologie néo-fasciste, violente, irrationnelle. Bref, intrinsèquement et parce que ce serait inscrit dans son histoire comme un horizon indépassable (ses gènes, pour un peu !), l’Islam serait une menace pour le monde libre. La dernière même, c’est promis, couvrant les Unes, remplissant les vides éditoriaux. Le tout sans le moindre débat. Chacun y allant de son poncif, de son mensonge, de ses approximations douteuses quand bien même ce chacun appartiendrait à la communauté scientifique. Du reste, observe Saïd, on n’a jamais connu, dans l’histoire des sciences humaines, un tel débordement de bêtise dans le monde universitaire.
Aristotle001Qu’y a-t-il donc derrière une telle unanimité ? Qu’y a-t-il donc derrière cette insistance à souligner le caractère menaçant de la foi, de la culture, des populations musulmanes, sinon un fol aveuglement qui nous détourne de réaliser que les Etats-Unis bombardent, envahissent, occupent les pays musulmans et n’ont cessé d’être en guerre, depuis la Libération, contre les Peuples du monde pour asseoir leur domination !
La couverture médiatique de l’Islam, au fond, obéit à une logique suicidaire, au moins pour les pays qui se sont placés dans le giron des Etats-Unis, sinon génocidaire, à force de construire le musulman comme l’autre de l’humain.
Arabes, islamistes, musulmans, constituent désormais une seule et même cible qui articule une composante fondamentale de la politique de domination américaine. Placer ainsi les musulmans, comme le font les américains, au centre d’une attention thérapeutique et punitive, ne peut qu’inquiéter, ne devrait qu’inquiéter ce monde soit disant libre, qui ne sait faire la part des choses.
 
Edward W. Saïd, l’islam dans les médias, éd. Sinbad, Actes Sud, traduit de l’anglais (américain) par Charlotte Woillez, sept. 2011, 282 pages, 24 euros, ean : 978-2742-782406.

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25 septembre 2014 4 25 /09 /septembre /2014 04:23
 
Fannon.jpg« Oui à la vie. Oui à l’homme. Oui à la générosité »… Franz Fanon, Peau noire, masques blancs
Le fil conducteur de la pensée de Fanon, c’est au fond sa réflexion sur les conditions de possibilité de la liberté humaine. Une recherche moins philosophique que située, s’efforçant de démonter les mécanismes de la domination sociale, et en tout premier lieu bien sûr, ceux de la raison coloniale. Fanon aura ainsi été celui qui, mieux que tout autre, aura inauguré l’effondrement du narcissisme européen, pour le plus grand bien de cette vieille Europe croupissante. En refusant en outre d’enfermer sa pensée dans le seul geste de la révolte, évidemment nécessaire, dessinant pour nous un horizon d’accomplissement lumineux, déterminant cette révolte en acte de création plus que de résistance. Un chemin difficile certes, douloureux, que l’on paie toujours au prix fort. Que l’on paie en particulier au prix d’une défiance à l’égard de ses propres préjugés, sinon de ses propres désirs. Creusant cet inconscient culturel qui nous plombe, Fanon aura ainsi pointé avec pertinence l’objet du leurre sociétal qui nous surprend tous dans des mimes tragiques. Que désire l’homme noir soumis ?, se demandait-il. Être blanc. On peut aisément transposer : nous voulons tous être riche et qu’importe le degré de suffisance de cette richesse-là, et reconnus. Les classes modestes et populaires orientent leurs désirs vers les classes bourgeoises, lesquelles l’ont orienté depuis beau temps vers les classes aristocratiques qui ont bien évidemment survécu à la Révolution française. Et de ces classes en cascade, chacun attend sa reconnaissance… Comment inventer, dans ces conditions, des formes nouvelles pour nos désirs ? Fanon s’en est aussi posé la question comme psychiatre : celle par exemple de savoir comment rompre avec ces sentiments d’infériorité et d’illégitimité qui façonnent nos désirs, posant une sorte de social-diagnostic sur la société qui lui a permis de mettre en relation l’inconscient et la structure socio-économico-politique de son époque. Celle-là même qui pèse si fortement sur nos désirs, les conditionne tant et dont nous ne pourrons pas faire l'économie de ne pas la déconstruire. ll faut être aussi noir que possible, affirmait-il alors, face au racisme colonial. Cette négritude devenait le point de départ d’une humanité plus profonde, qui gardait de croire au bavardage immonde de la classe politique : liberté, égalité, fraternité, honneur, patrie, autant d’injonctions vides de tout contenu, n’empêchant nullement le racisme le plus odieux de s’exprimer en toute bonne foi. Fanon avait parfaitement décrypté ce discours de domination qui commande à l’immigré d’imiter son maître mais en restant à sa place : celle de la soumission. Il avait parfaitement perçu combien c’était autant la ressemblance que la différence de ces êtres «voués» à la soumission qui troublait, avant que d’inquiéter. Car au fond, la seule chose qu’on attendait de lui, c’était la soumission. Cette même soumission que la classe politico-médiatique attend de nous aujourd’hui.
 «La fonction d’une structure sociale est de mettre en place des institutions traversées par le souci de l’homme. (…) Une société qui accule ses membres à des solutions de désespoir est une société non viable, une société à remplacer», affirmait Franz Fanon. A mesurer l’étendue du désespoir qui anime un pays comme la France, qui a cessé de faire société depuis une bonne dizaine d’année, on mesure combien Fanon était dans le vrai, porteur de ce nouvel humanisme qu’incarnent les minorités (relatives)  et qui sont le seul horizon dans lequel réintroduire la question de la dignité et de la liberté des hommes. Minorités aux identifications ambivalentes, nécessairement, oscillant entre la tentation de s’enfermer dans les insistances d’une raison identitaire et de s'ouvrir à des modèles extérieurs. Minorités toujours menacées de se retrouver piégées dans l’amertume d’un désir mimétique qu’il soit identitaire encore une fois, ou fourni par le camp de la domination, mais minorités traversées de part en part par une vraie morale, parce qu’elles reçoivent leur caractère universel à travers leur souffrance, ne revendiquant pas un droit privé «parce qu’on ne leur a pas fait un tort particulier, mais un tort en soi» (Fanon).  Et surtout, parce qu’elles ne peuvent s’émanciper sans s’émanciper de toutes les autres sphères de la société et sans, par conséquent, les émanciper toutes, la perte complète de l’humanité ne pouvant se reconquérir que par le regain complet de l’homme, ainsi que le pensait Marx, que Fanon rejoint ici.
 
Comprendre Fanon, Michael Azu, éd. MAX MILO, 3 juillet 2014, coll. Comprendre, 110 pages, 12 euros, ISBN-13: 978-2315005062.
 
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22 septembre 2014 1 22 /09 /septembre /2014 04:06
 
l-austerite.jpgDeux chercheurs se penchent sur l’impact de l’austérité sur la santé publique. Tout en réfléchissant aux vrais buts de cette austérité programmée presque partout en Europe, dernier bastion de l’intégrisme néolibéral. Et bien évidemment, ce qu’ils découvrent c’est que l’austérité n’a aucun fondement économique rationnel : elle n’est qu’une décision politique visant à enfermer les nations dans la soumission de la pauvreté matérielle, sociale et morale. Le vrai visage de cette austérité déploie dans leurs travaux toute son horreur : elle ne crée à court terme que des morts, qui ne risquent pas de générer de la richesse à long terme… Le coût humain de toute économie, voilà la grande question jamais abordée, y compris par les socialistes de pouvoir. Forts d’une dizaine d’années d’études et d’analyses assidues, nos deux chercheurs montrent au contraire de tout ce qui se dit en France par exemple, que les dépenses sociales et de santé permettent de réduire la Dette en créant de la croissance. Tableaux à l’appui, couvrant des périodes longues de plus d’un siècle, ils montrent que tous les pays qui ont pratiqué des coupes drastiques dans leur budget de santé n’ont fait que connaître un réel déclin sur le long terme. Mais bien sûr, l’enrichissement spectaculaire des plus riches sur le court terme… L’austérité a ainsi toujours eu l’effet inverse de celui escompté ! La dette augmentant au fur et à mesure que ralentit l’économie. «Quand on coupe les filets de sécurité, le choc économique que représente la perte d’un emploi ou d’un logement peut se transformer en crise sanitaire». L’exemple de la Grèce vient à l’appui de cette démonstration, qui s’est enfoncée dans une crise sanitaire sans précédent dans son histoire ! Que signifie être une société dans ces conditions ? Très opportunément, nos deux chercheurs en santé et économie publiques nous rappellent que les choix économiques sont d’abord des choix de vie ou de mort. Et très pertinemment, ils nous rappellent ce que devrait être le devoir d’un bon gouvernement : la protection de ses citoyens. D’autant que la santé, analysent-ils, n’est pas liée aux crises mais aux réponses fournies par les politiques. La richesse d’une Nation, veulent à tout prix oublier nos politiciens, c’est sa population. Pas ses banques. Il faut donc soigner de préférence le corps économique plutôt que le corps financier, tant la santé publique est le bien le plus précieux d’un pays.
 
Quand l’austérité tue, Stuckler David, Basu Sanjay, éd. Autrement, coll. Essais-documents, 10 septembre 2014, 272 pages, 21 euros, ISBN-13: 978-2746738027
 
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19 septembre 2014 5 19 /09 /septembre /2014 04:15
 
hollande-copie-1.jpgLa France relève désormais de catégories fictionnelles. 
Comment ne pas reconnaître, en effet, le caractère imaginaire des objets qui nous sont proposés pour "faire France" ?
«Je dois changer la réalité (…). Nous sommes responsables de cette perte de repères et de sens. (…) Ma priorité, c’est l’emploi. (…) Notre responsabilité, ce n’est pas de vendre de l’illusion mais de rendre l’espoir. (François Hollande, premier éditorialiste de France, le 18 septembre 2014)
karl-kraus.jpgObservez les "grands" médias emboîter le pas à cette fiction sordide. Mesurez leur degré de compromission à leur mouillage dans une pseudo réalité sociale tronquée. Relevez les indices textuels (pour faire savant) de la fictionnalité de cette actualité. Le moins qu’on puisse dire, c’est que si le roman déploie tout une série de stratégies textuelles pour favoriser l'illusion référentielle, la société politico-médiatique en fait autant. Voyez comme elle produit cette fiction, goûtez la merveilleuse manipulation d’une vraie crise dont les conséquences ne portent que sur les plus démunis. Ecoutez Monsieur 20 heures à sa télévision, déversant ses mensonges dans une énonciation impeccable, escamotant les indicateurs qui pourraient faire sens. Que dire de ces bouffées énonciatives, sinon qu’elles jouent crapuleusement de l’effet de réel, mais que dans le même temps, c’est typiquement bâtir une fiction qui n’articule qu’un récit vandale.  
Que conclure de cette journaille, comme l’appelait Karl Kraus, l’aboyeur autrichien, et du rôle essentiel qu’elle joue dans l’entreprise de démolition généralisée des populations françaises ? Rien, sinon qu’une caste acquise au maintien de l’ordre néolibéral précipite la France dans son chaos balourd. Aujourd’hui, la société politico-médiatique est une vaste conspiration contre toute espèce de vie sociale. Il nous faudrait reprendre les leçons d'un Kraus, à qui j’emprunte la formule, pour nous en sauver. A Kraus qui ne cessait d’alerter ses compatriotes, dans l’Allemagne des années 1930, sur la maîtrise gagnée par les nazis dans l’art de "faire passer la bêtise, qui a remplacé la raison, pour de la raison…". Kraus qui ne cessait de pointer l’horizon de cette entreprise de crétinisation : nous faire perdre le sens des réalités. Car lorsque le discours public ne sert qu’à proférer avec aplomb des arguments spécieux ou à rendre honorables des idées ignobles, ce qu’il y a au bout, c’est la mort collective.
 
 
Œuvres de Karl Kraus :
 Les Derniers Jours de l’humanité — version intégrale, Agone, 2005
 Troisième nuit de Walpurgis, préface de Jacques Bouveresse, Agone, 2005
 Les Derniers Jours de l’humanité — version scénique, préface de Jacques Bouveresse, postface de Gerald Stieg, Agone, 2000
 La Boîte de Pandore, introduction à des textes de Frank Wedekind, Ludd, 1995
 La Littérature démolie, essais, préface d’Elias Canetti, Rivages, 1993
 Cette grande époque, essais, préface de Walter Benjamin, Rivages, [1993], 2006
Dits et contre-dits, aphorismes, Ivréa, 1993
La Nuit venue, aphorismes, Ivréa, 1986
Pro domo et mundo, aphorismes, Ivréa, 1985
 
Essais (sélectifs) sur Karl Kraus :
Karl Kraus, Cahiers de L’Herne, 1975 [épuisé],
Schmock ou le Triomphe du journalisme : la grande bataille de Karl Kraus, Jacques Bouveresse, Seuil, 2002
L’Universel reportage et sa magie noire. Karl Kraus, le journal et la philosophie, André Hirt, Kimé, 2002
Les Quarante-Neuf Degrés, Roberto Calasso, Gallimard, 1992
La Parole malheureuse, Jacques Bouveresse, Minuit, 1971
Référence électronique :
"Bibliographie en français ", revue Agone, 35-36 | 2006, [En ligne], mis en ligne le 15 septembre 2008. URL : http://revueagone.revues.org/489. Consulté le 27 mai 2010.
 
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16 septembre 2014 2 16 /09 /septembre /2014 06:50

 

jean-genet.jpgLes éditions Gallimard ont réédité en 2010 les textes politiques de Jean Genet. Dont l’éblouissant Quatre heures à Chatila, écrit en octobre 1982, juste au retour de sa visite du camp de Chatila au lendemain des massacres perpétrés par les phalangistes, sous les yeux complaisants de l’armée israélienne.  Chatila dont il a parcouru les rues jonchées de cadavres. Jean Genêt déambule parmi les corps suppliciés, raconte. Le silence assourdissant des soldats israéliens qui bouclent Chatila, installés à quelques mètres du camp et qui prétendirent n’avoir rien vu, rien entendu.  Jean Genet raconte l’obscénité de la mort qu’il découvre à Chatila, l’infini épuisement des corps abandonnés dans la poussière des rues et qui ne peuvent rien cacher. Et l’armée israélienne, qui avait quelques jours plus tôt prévenu en secret les américains, les italiens, les français. Ces mêmes français qui venaient de se retirer lâchement à la veille des massacres. Quelle décision politique !

«J’enjambai les morts comme on franchit des gouffres».  Pendant trois jours et trois nuits les commandos supplétifs avaient œuvré. Trois jours et trois nuits sous les yeux de l’armée israélienne. Qui leur apportait les vivres, l’eau. Et éclairait le camp la nuit pour qu’ils puissent sans risques traquer la population civile. Trois longs jours et trois longues nuits. Et François Mitterrand averti qui laissa se perpétrer le massacre. Combien étaient les phalangistes, s’interroge Jean Genet ? Relevant la topographie des lieux, il note simplement qu’il leur fallait être nombreux pour infliger de tels dégâts. Et qu’au quatrième jour, les chars israéliens étaient entrés dans Chatila, bloquant les survivants, mais laissant filer les assassins. Jean Genet décortique les conditions de possibilité d’une telle horreur. Il note qu’à quarante mètres de l’entrée se trouve l’hôpital Acca, occupé par l’armée israélienne. Et partout ne voit que des corps suppliciés avant d’avoir été abattus. «Qu’est-ce qui n’est pas vain dans ce monde ? C’est à vous que je pose cette question, nous demande-t-il par-delà les âges. Vous voyez que c’est surtout vous qui acceptez les massacres et qui les transformez en massacres irréels. La révolte de chaque homme est nécessaire», conclut-il.

 

Jean Genet, L’Ennemi déclaré, textes et entretiens choisis 1970-1983, Folio, 7 octobre 2010, 304 pages, 7,40 euros, ISBN-13: 978-2070437863.

 

 

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